Texte de Gael Charbeau (commissaire exposition Révélations Emerige) :

     Le fracas fascinant des blocs de pierre ou de plâtre, l'élégance d'un grillage d'entrepôt, la souplesse et la grâce d'un tuyau retors, la courbure extravagante d'une gaîne électrique, l'envol des rouleaux de scotch de masquage, la danse excentrique des fers à béton sur la mélodie ouverte des câbles éclectiques rouges, verts, bleus : Alice Louradour trempe ses mains dans l'univers du chantier pour le projeter dans l'espace de l'exposition et le faire chalouper. C'est un peu comme si la feuille de papier où l'artiste fixe ses dessins prenait possession de l'ensemble d'un volume donné, comme si sa logique « en un certain ordre assemblée» (1) n'était plus circonscrite uniquement à la hauteur et la largeur, mais qu'il fallait y ajouter l'étendue, la grosseur, la profondeur, la superficie, le calibre, l'épaisseur... car il s'agit bien pour elle de dessiner ou plutôt de redessiner un lieu qu'on lui confie, avec des matériaux qui n'ont pas été pensés pour ça. Privilégiant en général les structures tubulaires, elle les lance dans le vide comme on commence une peinture gestuelle et puis elle combine et manigance des axes, des rythmes et de précaires équilibres. Sa palette est celle des matériaux, faite de violents contrastes : orange vifs sur des bleus électriques, ou jaunes éclatants qui rebondissent sur des flaques pourpres. Mais contre toute attente, l'énergie qui se dégage de ces chantiers vandalisés est souvent vibrante, joyeuse et généreuse, elle crée ces surprises que l'on découvre parfois sous les préaux des maternelles où les accidents participent à l'harmonie de l'ensemble. Avec cette aisance à transformer le vilain en une neuve noblesse, Alice Louradour nous donne le sentiment qu'on ne tourne jamais en rond, quand il s'agit de définir la beauté.

(1) « Se rappeler qu’un tableau, avant d’être un cheval de bataille, une femme ou une quelconque anecdote, est essentiellement une surface plane recouverte de couleurs en un certain ordre assemblées ». Maurice Denis, in Art et Critique, 1890




Texte de Julien Verhaeghe ( pour le livre 5 ans de la bourse Révélations Emerige ) :

   “On pourrait dire de ma pratique qu’elle s’articule autour de deux pôles. D’un côté, il y a le dessin que je tente d’extraire de la feuille de papier afin de l’inscrire dans un espace réel ; il s’agit pour cela de traduire des lignes, des traits, l’aspect crayonné du dessin en une réalité physique, comme si on jouait du transfert entre bidimensionnalité et tridimensionnalité. De l’autre, je suis intriguée par les chantiers urbains tels qu’ils représentent une réalité en train de se faire, mais aussi tels qu’ils reflètent une certaine âpreté en termes de représentations et d’imaginaires. Les chantiers décrivent en effet des espaces de labeur réputés difficiles, les matériaux sont de facture industrielle tout comme il y règne une forme de masculinité. Il me semble pourtant que ces espaces produisent beaucoup de choses d’un point de vue plastique. Les divers éléments qui les composent, les couleurs ou les marquages de toute sorte possèdent je crois une identité très graphique, ce qui me fait penser que le chantier pourrait être perçu comme une peinture en mouvement. Dans cette optique, j’aspire à redonner un peu de légèreté à cet univers, mon travail consistant à produire des objets ou des situations qui en reflètent la matérialité tout en veillant à ce que l’on ait l’impression de traverser des espaces peints ou dessinés. C’est pourquoi je procède dans un premier temps à un travail de récupération auprès des chantiers, en récoltant des tuyaux de canalisation, des tiges, des grillages, c’est-à-dire des éléments modulaires qui, dans un second temps, peuvent être combinés ou assemblés. Globalement, je me laisse guider par la rencontre avec le matériau tout en gardant à l’esprit cette volonté de restituer la gestuelle du dessin. Les compositions qui en résultent affirment souvent une dimension énergétique, en raison de l’aspect tubulaire de certaines composantes, ou bien plus directement lorsque j’utilise des câbles électriques et des piles. J’imagine que cela rejoint le côté ludique de ma pratique, mais c’est surtout une façon de faire vivre ces espaces à travers l’évocation du mouvement et de la circulation. “